Voici la suite.
Pauline détacha sa ceinture comme les ralentis des films. Elle se leva, prit ses objets personnels dans la cabine et descendit de l’avion. Pendant une fraction de seconde elle repensa à la lubie de sa sœur, qui adolescente, voulait mourir terrassée par une crise cardiaque en descendant d’un avion. Cela faisait bien longtemps maintenant qu’elle n’avait plus de réels contacts avec sa sœur. En fait, depuis la mort de leur frère, elles étaient comme deux étrangères l’une pour l’autre.
Après la vérification de son passeport et le traditionnel passage en douane, elle s’installa dans un café de l’aéroport, commanda un café et sortit son ordinateur portable. Elle arrivait près du but maintenant. Mais le temps ne lui avait jamais paru aussi long.
Nathan finissait la lecture du dossier de cette jeune fugitive. Il était abasourdi et presque admiratif du nombre de kilomètres qu’elle avait parcourus et de toutes les identités utilisées au cours de sa cavale. Le dossier était prêt. Le marsahll, qui était vraiment une personne antipathique, allait pouvoir rapatrier Kate Austen aux Etats-Unis. Il s’apprêtait à aller remettre le dossier à son patron quand la petite enveloppe des messages s’afficha sur son ordinateur. L’émetteur de ce message n’était autre que Pauline. Que devait-il faire ? L’étrangeté du rêve de tout à l’heure (dans une salle de concert) ou devrait-il dire souvenir, lui laissait un sentiment d’inachevé. Il se devait d’être honnête avec lui-même, cela avait plus la teneur d’un souvenir que d’un rêve. Un souvenir enfoui au plus profond de lui, là, dans son inconscient. Quelque chose qu’il avait oublié. Il était parfois très facile d’oublier quelque chose. Le cerveau humain a cette faculté de mémoire sélective. Mais les choses, les événements de notre vie restent toujours enfouis quelque part jusqu’à ce que quelque chose ou quelqu’un les fassent ressurgir. Cette Pauline allait-elle produire le même effet que la chanson de tout à l’heure ? Attendait-il, désirait-il cet effet ? Il ouvrit le message.
« Bonjour,
Je viens d’arriver à Sydney. Je suis en ce moment même à l’aéroport. L’émotion dans laquelle je me trouve et, devrais-je ajouter, l’étrangeté de la situation font que je ne vais pas y aller par quatre chemins.
Bref, je vous propose de vous attendre pendant deux heures à l’aéroport, porte 8. Cela peut vous paraître stupide, mais je préfère vous laisser le choix de venir me rencontrer ou pas. Si dans deux heures, je ne vous vois pas arriver (ne suis-je pas sensée vous reconnaître ?), je repartirai sans essayer de vous joindre à nouveau.
Pauline ETVAY »Nathan se frotta les yeux. Après tout cette jeune femme était venue pour lui, et lui n’avait rien à perdre. Il avait même un prétexte pour se rendre à l’aéroport : le dossier « Kate Austen » à déposer et cela éviterait à son patron la dépense d’un coursier.
Il alla droit au bureau de son patron qui n’y vit aucun inconvénient. « Je suis sûr que tu as quelque chose d’hautement plus intéressant à y faire. Une jeune femme en détresse j’imagine, bourreau des cœurs… » . Nathan était toujours amusé d’habitude qu’on le considère comme un homme à femmes mais cette fois-ci, cette remarque le laissa de marbre. Son patron fut assez gêné de constater la froideur de Nathan et ne préféra pas insister. Il lui souhaita juste un bon anniversaire et le laissa s’en aller.
Sept ans plus tôt.
Un cercueil. Du monde. Beaucoup de monde.
“ I can tell by your eyes, that you’ve probably been crying forever
And the stars in the sky don’t mean nothing, to you they’re a mirror
I don’t wanna talk about it, how you broke my heart
If I stay here just a little bit longer
If I stay here won’t you listen to my heart ….
If I stand all alone, will the shadows hide the colours of my heart
Blue for the tears, black for the night’s fears
And the stars in the sky don’t mean nothing, to you they’re a mirror
I don’t wanna talk about it, how you broke my heart…”Une urne remplie de cendres.
Un colombarium.
Une inscription.
Marc Etvay 1966-1997
Dans les toilettes de l’aéroport, Pauline s’aspergea le visage d’eau fraîche afin d’effacer ses larmes et ses yeux rougis. Puis elle s’interrogea face au miroir.
« J’ai fait tout ce chemin juste pour laisser à un parfait inconnu les cartes en main ? » Et oui, une fois de plus elle avait fait marche arrière. En fait elle avait peur que ce soit vraiment son frère et comment aurait-il pu faire croire à sa famille, ses amis qu’il était mort, c’est qu’il avait choisi de ne plus les voir… Viendrait-il la voir, elle ? Quoiqu’il en soit elle serait vite fixée. Elle s’essuya le visage avec une serviette et se dirigea vers la porte n°8.
EDIT (suite)
Nathan s’installa au volant de sa voiture, posa soigneusement le dossier sur le siège passager, puis après un regard dans le rétroviseur démarra. Il travaillait dans la zone de fret et par conséquent l’aéroport était proche. Cette Pauline devait connaître ce détail, car comment aurait-elle pu donner un délai aussi court sinon ? Elle devait avoir mené une petite enquête avant de prendre cette décision. Qui avait pu lui parler de lui ? Certainement un des clients de la société. Ils étaient mondialement connus et géraient des clients de différentes nationalités. Il avait donc, à maintes reprises, rencontré des français. Et comme il était le « french guy » de la boîte, il servait aussi souvent d’interprète quand cela était nécessaire. Arrêté au feu rouge, il tâchait de se remémorer le visage des différents français qu’il avait rencontrés quand quelqu’un frappa à sa vitre. Il sursauta, le regard soudain en panique…
Sept ans plus tôt.
Quelque part en France.
Une voiture blanche arrêtée à un stop.
Un homme d’une trentaine d’années au volant. La vitre s’abaisse, les yeux verts ont juste le temps de voir la seringue puis plus rien, le néant.
Quand les yeux s’ouvrent à nouveau, la voiture blanche n’est plus là. L’homme aux yeux verts se lève et marche. Il a très mal à la nuque. « Je dois voir un docteur… »
« Hé, monsieur… monsieur… Pourriez-vous m’indiquer… » Le feu passa au vert, Nathan ne prit pas la peine de répondre et appuya sur l’accélérateur. Quelques mètres plus loin, il s’arrêta dans un parking pour se calmer.
« Je ne suis pas Nathan Dutil… Je ne suis pas Nathan Dutil… J’ai été agressé, la seringue…, j’ai été drogué. Je ne suis pas Nathan Dutil… Qui suis-je ? Serais-je cette personne, ce frère que cette Pauline recherche… J’aurais… »
Les feux arrière de la voiture s’allumèrent et celle-ci reprit la route.
Cela faisait maintenant quarante-cinq minutes que Pauline se trouvait devant la porte 8. Elle ne s’impatientait pas, elle guettait immobile telle une statue, tout simplement. Ses yeux la brûlaient tant elle fixait la route intensément.
Ses parents ne savaient pas qu’elle était à Sydney. Elle leur avait seulement dit qu’elle partait quelques jours pour son travail, mais elle n’avait pas voulu rentrer dans les détails, elle ne voulait rien compromettre avant de savoir de quoi il en retournait exactement.
Une heure d’attente…