HURLEY
Chapitre 2 : Vol 714 pour L.A.
Lieu : Un avion au-dessus du Pacifique
‘En cas de dépressurisation de la cabine, des masques à oxygène tomberont devant vous...’
Hurley regardait d’un air presque amusé l’hôtesse de l’air mimant devant lui les consignes de sécurité. Il avait envie de l’interpeller pour lui demander ‘Et en cas de rupture de fuselage entraînant la chute dans le vide de l’arrière de l’avion ainsi que le plongeon sans parachute de quelques dizaines de passagers ?’
L’avion allait bientôt décoller, il prenait peu à peu position sur la piste, attendant sagement son tour. Le vol, prévu initialement à 7h52, accusait un retard de 50 minutes. Hugo aurait pu commencer à paniquer en regardant sa montre qui indiqua 8h42 au moment où le grand Airbus quittait la terre ferme. Mais depuis la veille et un certain reportage à la télévision, la nature mauvaise des nombres lui était apparue sous un nouveau jour. De toute évidence, le crash sur l’Île (dont il s’attribuait toujours la cause) n’avait pas eu que des conséquences néfastes pour tout le monde. Si Locke avait pu remarcher après quatre ans d’immobilité, ça ne pouvait être qu’une bonne chose, non ? Alors il avait saisi le petit bloc-notes et le stylo fourni par l’hôtel sur toutes les tables de nuit et avait tracé une ligne verticale au milieu de la première page. En haut de la colonne de gauche il avait inscrit «bon» et au-dessus de l’autre «mauvais». Puis il avait commencé à classifier tous les événements qui s’étaient produits sur l’Île.
L’avion avait maintenant pris son rythme de croisière. Hurley était assis bien confortablement dans son siège de première classe. Certes il avait les moyens de s’offrir ce luxe mais il n’en avait même pas eu besoin, Oceanic Airlines ayant payé son voyage. C’était quand même la moindre des choses. Il n’y avait personne sur le siège à ses côtés alors Hugo en avait profité pour y déposer le bouquet de fleurs acheté à la va-vite à l’aéroport pour célébrer l’anniversaire de sa mère. Avec presque deux mois de retard mais il avait la nette intuition qu’elle ne lui en voudrait pas.
Hurley porta la main à la poche gauche de sa chemise et en sortit le petit bloc-notes, ainsi que le crayon. Il fit tourner les pages, toutes plus noircies les unes que les autres. ‘Les gens morts dans le crash, mauvais’, ‘les gens morts après le crash (Joanna, Scott, Boone, Artz), mauvais’, ‘Locke se remet à marcher, bon’, ‘Charlie arrête la drogue, bon’, ‘Charlie tue un type, mauvais’... et ainsi de suite. Il se mit à réfléchir tout en mordillant l’extrémité du crayon. Où placer ‘Kate échappe à la prison’ ? Après tout, on est considéré innocent avant que le contraire soit prouvé non ?
‘Kate échappe à la prison, bon pour elle, mauvais pour les flics’. Hurley regarda d’un air satisfait la page du bloc-notes. Si on exceptait les gens disons... légèrement décédés ainsi que le traumatisme d’avoir survécu à un crash et rencontré au choix des ours polaires, un serial killer ravisseur de femmes enceintes ou le truc géant qui fait bouger les arbres, le bilan était plutôt positif pour les rescapés... certains avaient même l’air mieux lotis sur l’île! Et tout ça
était lié aux nombres, il en était persuadé... il avait beau les fuir, ils revenaient toujours. Alors c’était fini, il ne fuirait plus. Au contraire, il allait mener sa propre enquête, chercher la signification de ces nombres, étudier les conséquences qu’ils ont eues sur les autres. Il essaierait même de se renseigner sur ce que les scientifiques découvriront sur l’île. L’argent gagné grâce aux nombres allait lui permettre de percer leur mystère. Ou du moins il allait essayer. Plus question de rester inactif à se demander quel prochain malheur ils allaient causer. Mais d’abord il avait besoin d’informations. Demain à la première heure il chargerait Richard d’engager les meilleurs détectives ou espions, bref ces genres d’agents infiltrés qu’on ne voit que dans les films et qui sont payés par des millionnaires excentriques ayant l’ambition de devenir maître du monde. Il voulait tout savoir, de la signification occulte de ces nombres au plat préféré de la grand-mère paternelle des personnes les ayant joués à la loterie de par le monde. Et il leur demanderait aussi de retrouver chacun des 42 autres survivants. Il aurait besoin d’avoir une petite conversation avec chacun d’eux, découvrir leurs liens avec les nombres, et ce que l’expérience sur l’île avait changé pour eux afin de compléter sa petite liste.
L’une des hôtesses, une jeune Australienne blonde qui lui rappelait Claire, se pencha vers lui.
‘Pour votre repas, désirez-vous le poisson ou le filet de porc à la mangue ?’
Hurley éclata d’un petit rire nerveux. ‘Vous vous moquez de moi ?’
‘Pardon ?’ demanda-t-elle, déconcertée.
‘Non, c’est rien, laissez tomber... Vous n’avez vraiment rien d’autre ?’
Le signal ‘attachez vos ceintures’ qui s’allume. La voix posée de l’hôtesse annonçant l’atterrissage imminent. Cette drôle de sensation dans l’estomac lorsque l’avion amorce sa descente. Les vibrations dans tout le corps quand il se pose enfin sur la piste. Le freinage qui vous cloue au siège. Bref, pour la plupart des gens, un mauvais moment à passer. Mais pour Hurley l’atterrissage du vol 714 en provenance de Sydney n’avait rien de déplaisant. Au contraire, il lui parut d’une banalité rassurante. Lorsque l’avion fut enfin complètement immobilisé, il se leva, ouvrit le compartiment au-dessus de sa tête pour récupérer son sac à dos et se dirigea vers la sortie de l’avion, le bouquet de fleurs à la main. Il n’avait aucun bagage à récupérer, ayant préféré laisser tout souvenir matériel du séjour sur l’île derrière lui. Certains des survivants avaient souhaité ramener des objets, il avait même cru entrapercevoir une statue de la Vierge Marie dans le sac de Charlie. Où l’avait-il trouvée, ça il l’ignorait, de même qu’il ignorait que le jeune Anglais pouvait faire preuve d’une telle dévotion religieuse. Il savait également que Shannon avait tenu à conserver tout ce qui avait appartenu à son frère mais personne ne pouvait la blâmer pour cela. En revanche, certains ‘souvenirs’ étaient plus farfelus. Ainsi Scott – non, Steve, avait insisté pour emmener avec lui une bouteille d’eau à l’effigie de la compagnie aérienne. Hugo aurait bien ramené les drapeaux et les clubs de golf mais il y avait renoncé, laissant tout en place.
‘Pour les prochains miraculés,’ avait-il dit à un Jack amusé.
Tu sais Hurley, la foudre ne tombe pas deux fois au même endroit,’ avait répondu le docteur de son ton toujours raisonnable.
‘Nan, peut-être pas un autre crash d’avion. Mais y’a eu le Black Pearl-’
‘Black Rock.’
‘Ouais c’est ce que j’ai dit, cette espèce de bateau pirate avant nous, et la nana française et son équipe... si ça se trouve, dans 100 ans, une navette spatiale viendra se crasher ici !’
Hurley sourit à ce souvenir. Le doc’ lui manquait déjà mine de rien, tout comme un certain nombre de ses compagnons de l’île. Cela faisait une raison supplémentaire de les retrouver, même si quelques uns avaient décidé de couper complètement les ponts pour oublier tout ça. Mais comment était-ce concevable ? Même en ne revoyant plus jamais les protagonistes du crash, Hurley ne voyait pas comment ils pourraient oublier cette expérience et reprendre une vie ‘normale’. Tous en sortaient changés à jamais et porteraient l’île en eux, chacun à sa façon. Elle serait indiquée sur l’extrait de naissance du petit Aaron. John Locke apparaissait comme l’incarnation humaine de l’esprit de l’île. On aurait dit qu’ils vivaient en symbiose tous les deux. Sa première visite serait pour lui. Hurley avait le pressentiment que lui mieux que personne pourrait l’éclairer sur certains mystères.
Hugo passa devant la douaniers qui ne lui firent aucune difficulté. Puis il sortit par la grande porte à ouverture automatique, avec la sensation de respirer pour la première fois l’air californien. Enfin de retour au pays. C’est que c’était plutôt long, un vol de 2 mois. Quelques instants après, il se retrouva entouré d’un grand gaillard tout sourire lui faisant de grandes tapes dans le dos et d’une petite femme amaigrie qui, tout en invoquant en espagnol diverses saintetés, le serrait si fort dans ses bras qu’on aurait dit qu’elle ne voulait plus jamais lâcher prise.
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