Revenons un peu sur ce début de saison. Je pense que c’est une bonne idée dans parler car Sundown marque un vrai tournant à cette saison et sonne un peu comme la fin d’un premier acte. D’abord j’ai bien vu qu’il y avait pas mal de déçus par ce premier tiers, ce qui me semble logique. C’est vrai - ce début de saison est assez lent, dans la forme les épisodes semblent plutôt creux (je dis bien dans la forme car le fond lui, au contraire, est très présent même s’il parait dur à percevoir) et on entre difficilement dans les flash-sideways pour la simple et bonne raison que leur sens nous échappe - tout au moins jusqu’à cet épisode et en particulier la scène entre Sayid et l’homme en noir. Je ne vais pas en reparler mais juste souligner que c’est une scène qui, en plus d’évoquer quelque chose de cher à Lost et de profondément ancré dans la série, va résonner dans nos têtes pour le restant de la saison et inconsciemment nous conditionner pour les prochains épisodes. En tout cas avec Sundown, on se rapproche effectivement bien plus de ce à quoi on pouvait s’attendre lorsque Lindelof et Cuse nous parlaient d’une saison 6 à l’image de la saison 1. De plus, si les scénaristes ont attendus le 606 pour le faire, dans un épisode centré sur Sayid, ce n’est à mon avis pas un hasard non plus.
Je lisais la préface du Fléau de Stephen King dans sa version longue hier soir et je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Lost et à sa dernière saison. En fait, King évoque les raisons qui l’ont poussé à publier cette nouvelle version, qui en réalité n’en est pas vraiment une, puis poursuit en affirmant être convaincu que dans toutes les histoires vraiment bien racontés, l’ensemble est toujours supérieur à la somme des parties. Pour illustrer son propos, il utilise comme contre-exemple l’histoire de Hansel et Gretel dont il nous propose une version non développée. Il compare ensuite cette version à une Cadillac dont on aurait gratté toute la peinture et retiré les chromes. A présent, je vais réutiliser et détourner l’exemple de Stephen King afin d’illustrer mon point de vue sur cette sixième et dernière saison. Ici, la Cadillac c’est Lost évidemment et pour le moment on n’a toujours pas eu l’autorisation de la conduire. Pendant cinq saisons les scénaristes de la série ont assemblés tous les éléments du bolide, jusqu’aux accessoires. Pour la dernière saison ils ont démontés le moteur afin qu’on puisse l’explorer. Et cette dernière saison c’est ça. Pas de sièges en cuir, ni de jantes chromées ou autres accessoires, même pas la carrosserie… juste le moteur. C’est pour ça qu’en apparence cette saison parait si creuse comparées aux autres. C’est une saison sans artifices auquel on assiste alors qu’auparavant ce sont eux qui faisaient l’intrigue. Et comme la si justement rappelé Killerbob, Lost est passé à un niveau supérieur avec cette saison où la série entretien désormais une relation plus instinctive avec le spectateur. Et le 23 mai 2010, après avoir terminé d’ausculter le moteur, il n’y aura plus qu’à le remonter dans le capot et la conduire enfin cette putain de Cadillac. Bon, le seul problème ce que c’est un modèle unique alors va falloir se la partager ; et je vous l’annonce tout de suite c’est moi qui la récupère en premier dans la nuit du 23 au 24.
Je parlais de tournant dans la saison avec Sundown, c’est vraiment comme ça que je le ressens et les scénaristes enfoncent d’ailleurs bien le clou en brisant le miroir de ce début de saison dans lequel on croyait suivre le reflet du début de la saison 1 avec des centrics identiques, tout ça n’était qu’illusion. Quant au titre de l’épisode, il parle de lui-même. La série feinte, encore et toujours. Mais au-delà de ça, si cet acte (dont on ne saisissait pas vraiment le sens) était centré sur les personnages de Jack, Locke et Kate ce n’est évidemment pas pour rien. Car ce sont précisément c’est trois-là qui vont refermer le cercle de la série. Et le rôle de Kate dans tout ça est particulièrement intéressant parce qu’elle constitue une pièce majeure qui je pense va permettre de rétablir l’équilibre sur l’île, aujourd’hui ébranlé par l’homme en noir.
En dépit de ce que beaucoup peuvent penser, Kate est un personnage intéressant qui, selon moi, ressemble beaucoup à un autre personnage de la série, que la plupart des fans adorent, il s’agit de Desmond. Kate est d’autant plus intéressante qu’elle est la toute première dans la série à avoir évoqué quasi directement le virus, dans sa définition la plus profonde, je vais en reparler. Mais avant, établissons rapidement un portrait croisé entre Kate et Desmond.
Desmond est quelqu’un qui a peu d’estime envers lui-même, qui pense ne pas mériter l’amour de Penny (ce que ne manquera pas de lui rappeler Charles Widmore) et par conséquent il fuit les choses lorsqu’elles exigent de lui un engagement bien particulier. Par la suite, Desmond effectuera sa course en solitaire afin de retrouver l’honneur qu’il dit avoir perdu et prouver sa valeur aux yeux de Penny et de son père. La suite on la connait, Desmond s’échouera sur l’île.
A peu de choses près, le parcours de Kate est quasi identique au sien, à la différence qu’elle a vraiment toutes les raisons de n’avoir aucune estime envers elle-même. Et c’est ce qui rend à mes yeux son personnage encore plus touchant que celui de Desmond. Parce qu’en réalité, quand il dit ne pas mériter l’amour de Penny, Desmond se ment à lui-même en refusant d’accepter que l’unique raison à tout ça, c’est qu’il est tout simplement trop lâche pour vivre cet amour. En effectuant cette course au tour du monde, ce que prouve Desmond c’est sa faiblesse. Il se rabaisse face à Widmore. Parce que de toute façon aucune course au monde ne pourra prouver quoi que ce soit. Desmond est un lâche - il a peur - c'est un homme faible. Et avant de vouloir récupérer son honneur, il faudrait d’abord l’avoir perdu et pour pouvoir le perdre, il faudrait d’abord en avoir eu. Rappelez-vous ce que lui disait Miss Hawking dans Flashes Before Your Eyes :
« Pushing that button is the only truly great thing that you will ever do. » C’est dur mais c’est malheureusement bien la vérité. Et tout ça rend la scène entre Desmond et Libby, lorsqu’elle lui vend son voilier, encore plus terrible.
A présent venons-en à Kate. Comme je le disais, à la différence des souffrances de Desmond, celles de Kate ont une véritable origine. Et là pour le coup, le mot est parfaitement bien employé. Très tôt, Kate a su percevoir que quelque chose en elle n’allait pas. Elle en fait part à Tom, son amour d'enfance, d’ailleurs dans la fameuse
time capsule qu’elle enregistre avec lui. On peut imaginer que Kate, à l’instar de Rose et de son cancer, a, elle aussi, ressenti ce corps étranger en elle, comme le décrivait Rose à Bernard dans S.O.S. Dans What Kate Did, lorsque Kate s’adresse à Wayne à travers Sawyer elle lui dit que si elle l’a tué c’est parce qu’elle détestait qu’il fasse parti d’elle, qu’elle ne puisse jamais être quelqu’un de bien et que ça la rendait malade. Le voilà notre virus. D’ailleurs, pour une fois le titre de l’épisode en français est bien choisi puisqu’il s’intitule Le Mal dans le Sang. Mais malgré tout, la propension que Kate à de vouloir agir pour le bien dépasse celle de n’importe quel autre personnage de la série et ça c’est un point important sur lequel j’insiste. En elle aussi se joue une partie de Backgammon. Elle est en perpétuelle lutte contre elle-même. Et dès le départ, sans même comprendre de quoi il s’agissait, elle a naturellement cherché à s’affranchir de ses pions noirs. Comment ? En fuyant. Fuir aussi loin possible de l’origine de son mal (son père). En devenant la fille de Wayne, Kate naît infectée par le mal, un virus que lui transmet son père. Lorsqu’elle découvre qu’il est justement l’homme pour qui elle a toujours eut une haine irascible, que c’est lui qui a fait d’elle ce qu’elle est, elle prend la décision de le tuer ; s’enfermant ainsi dans un cercle sans fin, dans lequel elle n’aura plus d’autre choix que de fuir éternellement. Je ne sais pas si vous vous rendez compte mais elle détruit quand même ce qui est à l’origine de ce qu’elle est. Ce n’est pas rien. J’insiste d’autant plus que le crime de Kate m’a toujours paru sous-estimer par les fans de la série. J’ai parfois eu le sentiment qu’il n’était pas apprécié à sa juste valeur. Peut-on trouver acte plus fort que celui-ci dans toute la série ? La force qu’exige une telle décision est juste indescriptible. Et ce constat est juste énorme parce que je vous rappelle quand même que sur l’île, il y a aussi un autre virus à exterminer : Le Monstre.
En parlant de force justement, Kate me fait parfois penser à un autre personnage de la série, non moins bien apprécier des fans, c’est Eko. On le sait, Eko était un personnage fort, qui ne s’abaissait devant personne et refusait de se laisser dicter sa conduite. Pour Kate, c’est un peu pareil. Bien qu’elle soit toujours restée dans l’ombre de Jack (mais ça c’est logique), c’est aussi un personnage qui ne se laisse pas dicter sa conduite si facilement, elle est déterminée et à l’image d’Eko dans The Cost of Living elle refuse de s’excuser pour le crime qu’elle a commis. Dans Left Behind lorsque sa mère lui demande si elle est venu pour s’excuser la réponse de Kate est claire :
« I’m not sorry » dit-elle. J’ai longtemps cru que Kate avait tué son père uniquement pour servir sa propre cause et même si en grande partie il s’agit de la vérité, je ne serai pas aussi catégorique que ça car à mon avis une part d’elle l'a aussi fait par amour pour sa mère. Et que Diane n’ait pas su le voir c’est une chose que Kate ne peut accepter. Du coup, leur scène entre elles dans Eggtown n’en devient que plus belle ; alors que Diane tend la main à sa fille, en s’excusant de l’avoir dénoncé et en lui annonçant ne plus vouloir témoigner contre elle, Kate refuse de s’abaisser à sa mère, elle n’en a plus rien à foutre de ses excuses, le mal est fait, elle n’a pas su percevoir à temps ce qu’il y avait de bon en sa fille. Kate la rayera définitivement de sa vie. Tout ça pour dire que cette force là c’est aussi ce qui lui permettra de survivre jusqu’à la fin de la série et de devenir une pièce indispensable.
Et ce qui est marrant, c’est de constater qu’en dépit du fait que Kate ne soit pas inscrite sur les murs de la grotte de Jacob, pour la simple et bonne raison que c’est un pion noir, elle n’en reste pas moins un pion très important pour lui, il est même essentiel. Evidemment, la question logique qui nous vient tout de suite à l’esprit c’est : Pourquoi alors le nom de Sayid, lui, est inscrit sur le mur de Jacob ? Tout simplement parce qu’à l’inverse de Kate, pour Sayid il existait encore l’infime espoir qu’il puisse un jour devenir un pion blanc alors que pour Kate son cœur est noir depuis la naissance. Il n’y a jamais eu aucun espoir pour elle. Mais et Jacob le sait, bien qu’elle soit destiné depuis toujours au camp de l’homme en noir, elle constitue tout de même, comme je le disais, un pion très important pour lui, grâce justement à ce conflit interne qui la pousse à fuir le côté sombre. Et Jacob veillera à ce que ce conflit se perpétue en elle jusqu’à son arrivée sur l’île,
« Be Good, Katie » lui dira-t-il. Jacob a bien conscience de l’importance de maintenir en chacun d’entre nous le libre arbitre. En tout cas, il est bien plus fin et intelligent que l’homme en noir en ayant bien pris soin de placer chaque pion à sa place. L’homme en noir lui est tellement content d’avoir recruté Sayid qu’il ne capte même pas que juste derrière Sayid se trouve le pion le plus dangereux pour lui. Quel abruti ce monstre. Et pendant ce temps, il s’attarde sur des personnages comme Sawyer, Jin ou encore Claire. Non, mais vraiment, il est con ce monstre.
Par ailleurs, dans les flash-sideways, on le voit encore, Kate agit une fois de plus dans le sens de Jacob, en veillant indirectement à ce qu’Aaron soit élevé par Claire. Ici, le but ultime de Kate dans cet autre monde serait qu’elle accepte son crime (quel qu’en soit sa nature - qu’elle soit innocente ou pas) et se rende à la police. Rappelons également que l'emblème de la justice est la balance. Tous ces parallèles sont plus qu'évident aujourd'hui ; et à l'aube du series finale, les nier serait faire preuve de mauvaise foi.
Il y a une réplique que j’aime beaucoup de Kate et qui pour moi résume parfaitement le personnage et ce conflit dont je parle depuis tout à l’heure c’est le
« I don’t wanna be Eve » dans House of the Rising Sun. Tout est dit.
La finalité du personnage dans la série sera d’assumer la vérité, accepter qui elle est, qu’elle admette cette noirceur dans son cœur et le fait qu’elle ne pourra jamais vivre son amour pour Jack (que lui évidemment est un pion blanc - Adam et qu’elle bien sûr est un pion noire - Eve) ; et si Kate pleure dans What Kate Does (l’épisode étant d’ailleurs bien meilleur que ce que je pensais avec la réintroduction du fameux virus, dans un épisode centré sur Kate, ce qui est évidemment tout sauf un hasard) ce n’est pas parce qu’elle apprend que Sawyer allait demandé Juliet en mariage mais bien parce qu’elle commence à se faire petit à petit à l’idée que ce mal elle n’en réchappera pas. Le thème ultime à la série, ce serait le sacrifice. Doucement mais surement la série atteint quand même les objectifs qu’elle s’était fixés. C’est beau.
Une fois que Kate aura admis tout ça et vivra avec, elle sera fin prête à tuer l’homme en noir.
En résumé, Kate constitue le pion idéal pour rétablir l’équilibre sur l’île. C’est un pion noir, elle est du côté de l’homme en noir, mais sa propension à agir pour le bien est tel que ça fait d’elle un pion gris. L’équilibre parfait entre le noir et le blanc, entre les ténèbres et la lumière. Finalement, le « scale » le plus passionnant à étudier c’est celui de Kate.
Un dernier petit mot pour conclure le portrait croisé que j’esquissais plus haut entre Kate et Desmond ; la fin de la série glorifiera à mon sens bien plus le personnage de Kate que n’importe quel épisode de voyages dans le temps sur Desmond. Et c'est à ce moment-là, que Kate rejoindra Locke et Jack au panthéon des grands personnages de la série. Et je ne dis pas ça parce que j’aime le personnage de Kate, d’autant plus que s’il fallait une preuve de ma bonne foi, je vous répondrai que l’épisode de la série que j’aime le moins c’est Eggtown. Kate aura bêtement beaucoup payé le fait que son personnage n’ait jamais entretenu de relation forte avec l’île, à l’exception d’une scène magnifique avec son cheval noire dans What Kate Did, mais les scénaristes l’ont en réalité reculé pour mieux sauter.
Je sais que mon post aura été long, et je m'en excuse, mais j’aimerais juste le terminer en citant une dernière fois Mr.Stephen King. Ce début de saison a déjà déclenché pas mal de réactions, certaines pour le moins exacerbées ; du genre
« la série de vient de plus en plus ridicule »,
« ça n’a ni queue ni tête », les acteurs sont également sujet aux railleries, tout comme certains personnages et des topics sont même créés rien que pour ça. Et évidemment, certain remettent en doute la genèse de la série en affirmant que les scénaristes inventent encore tout un tas de trucs dans cette dernière saison. Voici une citation de Stephen King qui traite justement de la perception qu’ont généralement les gens à l’égard de l’écriture d’un romancier à succès comme lui :
« Je vais vous épargner le récit de la genèse du Fléau - les enchaînements qui donnent naissance à un roman n'intéressent le plus souvent que les romanciers en herbes. Car ils pensent qu’il existe une « formule magique » pour écrire un roman qui connaîtra le succès commercial. Ce n’est pourtant pas le cas. Une idée vous vient ; plus tard, une autre frappe à la porte ; vous établissez un lien ou une série de liens entre ces deux idées ; quelques personnages (généralement à peine une esquisse au début) se présentent ; une conclusion possible surgit dans l’esprit de l’auteur (mais quand la vraie conclusion arrive, elle ressemble rarement à celle qu’il avait envisagée) ; et finalement, le romancier s’assied devant sa feuille de papier, sa machine à écrire ou son ordinateur. Quand on me demande comment j’écris, je réponds toujours : « un mot à la fois. » On croit y voir une pirouette. C’est pourtant la vérité. Trop simple pour être vraie, croit-on. Mais pensez un peu à la Grande Muraille de Chine, si vous le voulez bien : une pierre à la fois, n’est-ce pas ? Mais oui. Une pierre à la fois. Et pourtant, j’ai lu quelque part qu’on la voyait du haut des satellites, cette foutue muraille, et à l’œil nu par-dessus le marché. »
Vous aurez tous compris le parallèle avec Lost. Quand Lindelof a créé la série avec J.J.Abrams, ils avaient quelques idées, ils ont établis des liens entre ces idées, certaines resteront sans suites d’autres en revanche s’inscriront profondément dans le cœur du show et c'est ainsi que prend forme le premier squelette à la série : la saison 1 ; mais celui-ci est encore fragile et la prochaine mission des scénaristes sera de le renforcer. C’est ce qu’ils feront. Un an plus tard, à la fin de la saison 2, la bible de la série est établit. S’il y a donc bien une chose de sûre c’est que cette dernière saison constitue le cœur de la série et que plus jamais nous sommes dans le vrai. Et cette idée de bataille entre pions blancs et pions noirs sur l’île est présente dans le cœur de la série depuis le pilot, quel que soit la forme qu’elle avait à l’époque dans la tête de Lindelof. Voilà, c’est dit. A présent, j’y reviendrai plus dessus.